Information et sociétés contemporaines 2022

Objectif général du cours

Nous vivrions, selon l’expression de Manuel Castuells, dans une société en réseaux et dans une économie de capitalisme informationnel. Ces deux expressions font référence à la centralité de l’information, de sa circulation et de son contrôle, dans les sociétés contemporaines.

La société dans laquelle nous vivons est à la fois la cause et la conséquence de la diffusion de nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui permettent un traitement automatisé et en réseau d’informations inscrites sur des supports numériques.

L’informatique est une affaire d’informaticiens. Mais pas que. L’objectif du cours est d’acquérir les bases théoriques dans les différences sciences sociales pour analyser les transformations économiques et politiques dans la façon de s’informer et de communiquer dans nos sociétés contemporaines.

Le cours s’organisera en cinq séances de trois heures.

1. L’histoire technopolitique de l’espace public

De l’invention de l’écriture aux projets de « Métavers » dont l’objectif est de « démocratiser » la réalité augmentée, en passant par l’invention de l’imprimerie, les techniques d’écritures, de communication et de gestion de l’information ont beaucoup évolué. L’espace public bourgeois libéral théorisé par Jürgen Habermas et revisité sous l’œil critique de Nancy Fraser repose sur des évolutions sociales, d’ordre culturel, économique et politique, mais aussi une infrastructure technique qui permet la circulation de l’information. La forme matérielle de cette infrastructure n’est pas sans incidence sur l’histoire de l’espace public, et sur celle, parallèle, des luttes pour son contrôle, que Félix Tréguer expose dans ses travaux.

Lectures conseillées

Bourdieu P., 1996, Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir, 95 p.

Cazenave É., Ulmann-Mauriat C., 1994, Presse, radio et télévision en France de 1631 à nos jours, Paris, Hachette (Carré histoire), 253 p.

Eisenstein E.L., 1979, The printing press as an agent of change: communications and cultural transformations in early modern Europe, Cambridge [Eng.] ; New York, Cambridge University Press.

Fraser N., 2013, « Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement », Hermès, La Revue, 31, traduit par Valenta M., p. 125‑156.

Fraser N., 2007, « Special Section: Transnational Public Sphere: Transnationalizing the Public Sphere: On the Legitimacy and Efficacy of Public Opinion in a Post-Westphalian World », Theory, Culture & Society, 24, 4, p. 7‑30.

Goody J., 1979, La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Les éditions de minuit.

Habermas J., 1988, L’espace public: archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot (Critique de la politique Payot), 324 p.

Katz E., Lazarsfeld P.F., 2008 [1955], Influence personnelle: Ce que les gens font des médias, Paris; Paris, A. Colin ; INA. Institut national de l’audiovisuel.

Katz E., 2009, « The End of Television? », The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, 625, 1, p. 6‑18.

Kumar S., 2019, « The algorithmic dance: YouTube’s Adpocalypse and the gatekeeping of cultural content on digital platforms », Internet Policy Review, 8, 2.

Origgi G., 2013, « Democracy and Trust in the Age of the Social Web », dans Bovero M. (dir.), Teoria Politica – Nuova Serie – Annali III, Madrid, Marcial Pons, p. 23‑38.

2. La liberté d’expression, de la presse de masse à Internet

La liberté d’expression est proclamée, entre autres, à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et, aux États-Unis, par le Premier amendement à la Constitution. Les deux textes divergent pourtant sur des points essentiels. Ainsi, même au sein des démocraties libérales, la liberté d’expression ne va pas de soi. Nous parlerons de l’histoire de cette liberté d’expression, de ses fondements juridiques, et nous parlerons des évolutions juridiques et des controverses politiques contemporaines qui portent sur le contrôle de l’espace public en ligne.

Lectures conseillées

Badouard R., 2020, Les nouvelles lois du web: modération et censure, Paris, Seuil.

Bird K., 2001, « L’impossible réglementation des propos à caractère raciste aux États-unis », Revue française de droit constitutionnel, 46, 2, p. 265‑287.

Coslin C., Curien N., 2014, « L’efficacité à l’étranger des décisions françaises en matière de communication : le cas des États-Unis et du Premier Amendement », LEGICOM, 52, 1, p. 77‑87.

Dahlgren P., 1994, « L’espace public et les médias : une ère nouvelle ? », Hermès, 13‑14, p. 243.

Derieux E., 2014, « Une exclusion non légalement justifiée. Très favorable aux médias et préjudiciable aux victimes d’abus de la liberté d’expression », LEGICOM, 52, 1, p. 15‑22.

François L., 2014, « Les droits nationaux de la liberté d’expression et le principe européen de proportionnalité », LEGICOM, 52, 1, p. 101‑107.

Pigeat H., 2003, « Liberté de la presse, qualité de l’information. À la recherche d’une autorégulation », Commentaire, Numéro 104, 4, p. 961‑968.

Tréguer F., 2019, L’utopie déchue: une contre-histoire d’Internet, XVe-XXIe siècle, Paris, Fayard.

Weiss M.-A., 2014, « Liberté d’expression sur les réseaux sociaux. Regards croisés États-Unis/Europe », Documentaliste-Sciences de l’Information, Vol. 51, 3, p. 20‑22.

3. Technologie, économie et société : les mutations contemporaines des sciences et du capitalisme

Le milieu technique détermine-t-il une société et sa culture, ou ses dernières déterminent-elles le milieu technique ? Difficile de s’extraire de ce dilemme de l’œuf ou de la poule. Nous étudierons quelques théories issues de la sociologie et de la philosophie des sciences et des techniques pour comprendre la relation entre technologie et société, puis nous verrons ce que les théories économiques et socio-économiques nous apprennent des mutations du capitalisme contemporain, lesquelles prennent appui sur les (pour partie nouvelles) possibilités offertes par le milieu technique.

Lectures conseillées

Bachimont B., 2010, Le sens de la technique: le numérique et le calcul, Paris, Belles lettres (Encre marine), 185 p.

Beck U., 2008, La société du risque, Paris, Flammarion.

Boullier D., 2015, « Les sciences sociales face aux traces du Big Data », Revue française de science politique, 5-6, p. 805‑828.

Bourdeloie H., 2014, « Ce que le numérique fait aux sciences humaines et sociales. épistémologie, méthodes et outils en questions », tic&société, Vol. 7, N° 2.

Boyadjian J., 2014, « Twitter, un nouveau « baromètre de l’opinion publique » ? », Participations, 8, 1, p. 55.

Cardon D., Casilli A.A., 2015, Qu’est-ce que le digital labor ?, Bry-sur-Marne, INA.

Castells M., 2001, La société en réseaux. Tome 1 : l’ère de l’information, 2e édition, Paris, Fayard.

Cecere G., Guel F.L., Rochelandet F., 2015, « Les modèles d’affaires numériques sont-ils trop indiscrets ?, Are digital business models too indiscreet? », Réseaux, 189, p. 77‑101.

Ellul J., 2004, Le système technicien, 2e édition, Paris, Cherche Midi.

Jauréguiberry F., Proulx S., 2011, Usages et enjeux des technologies de communication, Toulouse, érès.

Latouche S., 2012, L’Âge des limites, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 152 p.

Moulier Boutang Y., 2007, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation., Paris, Editions Amsterdam.

Mumford L., 1964, « Authoritarian and Democratic Technics », Technology and Culture, 5, 1, p. 1‑8.

Winner L., 1980, « Do Artifacts Have Politics? », Daedalus, 109, 1, p. 121‑136.

4. De la protection des données à caractère personnel au droit de l’intelligence artificielle ?

Le traitement automatisé de données à caractère personnel, parfois pour alimenter des algorithmes de prise de décision automatisée qui peuvent être, selon les définitions, des algorithmes dits d’intelligence artificielle, facilite grandement la surveillance et des modalités de contrôle des individus et des groupes. La gouvernementalité algorithmique, décrite par Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, et la culture de la surveillance, décrite par David Lyon, résultent certes de mutations institutionnelles, politiques et sociales propres à la modernité liquide théorisée par Zygmunt Bauman, qui transforment en profondeur nos façons de construire la confiance en faisant de plus en plus reposer cette dernière sur le calcul et le profilage. La vie privée est-elle pour autant condamnée à une lente agonie ? En partant d’une discussion de la définition de la « vie privée » et de son rapport au milieu technique et à ses évolutions, nous verrons comment celle-ci peut être conçue comme l’objet du droit à la vie privée. Cela nous amènera à étudier le droit de la protection des données à caractère personnel : ses grandes définitions, ses grands principes, les droits des personnes concernées, la réglementation des transferts, et l’approche dite par le risque.

Lectures conseillées

Acquisti A., Gross R., 2006, « Imagined Communities: Awareness, Information Sharing, and Privacy on the Facebook », Proceedings of the 6th International Conference on Privacy Enhancing Technologies, p. 36‑58.

Alloing C., 2016, « La sousveillance: Vers un renseignement ordinaire ? », Hermès, 76, p. 68‑76.

Cardon D., 2012, « Le parler privé-public des réseaux sociaux d’Internet », dans Proulx S., Millette M., Heaton L. (dirs.), Médias sociaux. Enjeux pour la communication, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 33‑45.

Clément-Fontaine M., 2017, « L’union du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la vie privée », LEGICOM, N° 59, 2, p. 61‑68.

Englehardt S., Narayanan A., 2016, « Online Tracking:A 1-million-site Measurement and Analysis », ACM Conference on Computer and Communications Security, https://www.cs.princeton.edu/~arvindn/publications/OpenWPM_1_million_site_tracking_measurement.pdf.

Gellert R., 2015, « Data protection: a risk regulation? Between the risk management of everything and the precautionary alternative », International Data Privacy Law, 5, 1, p. 3‑19.

Gray C., Santos C., Bielova N., Toth M., Clifford D., 2021, « Dark Patterns and the Legal Requirements of Consent Banners: An Interaction Criticism Perspective », ACM CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, https://hal.inria.fr/hal-03117307 .

Goupy M., 2014, « La bienveillante neutralité des technologies d’espionnage des communications : le cas tunisien », Cultures & Conflits, 93, p. 109‑124.

Jones R., Raab C., Székely I., 2018, « Surveillance and resilience: Relationships, dynamics, and consequences », Democracy and Security, p. 1‑38.

Khatchatourov A., 2018, « La confiance dans le numérique. Des signes extérieurs vers la régulation de soi. », dans Levallois-Barth C. (dir.), Signes de confiance, l’impact des labels sur la gestion des données personnelles, Paris, Telecom ParisTech (Chaire et Valeurs des Politiques des Informations Personnelles), p. 5‑20.

Lukács A., 2016, « What is Privacy? The History and Definition of Privacy » Keresztes G. (dir.), Tavaszi Szél 2016 Tanulmánykötet I., p. 256‑265.

Lyon D., 2015, Surveillance After Snowden, Cambridge, Mass., Polity Press.

Mattatia F., 2018, RGPD et droit des données personnelles, 3e édition, Paris, Eyrolles.

Musiani F., Schafer V., 2011, « Le modèle Internet en question (années 1970-2010) », Flux, n° 8586, 3, p. 62.

Newman A., 2008, Protectors of Privacy. Regulating Personal Data in the Global Economy, Ithaca, Cornell University Press.

Rochelandet F., 2010, Économie des données personnelles et de la vie privée, Paris, Découverte.

Rossi J., 2018, « Qu’est-ce que le droit à la protection des données à caractère personnel ? », Working Paper, Geopolitics of Risk Working Papers, 1/2018, Paris, Chaire de géopolitique du risque de l’Ecole normale supérieure.

Türk A., 2011, La vie privée en péril: des citoyens sous contrôle, Paris, Odile Jacob, 269 p.

Rouvroy A., Berns T., 2013, « Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation: Le disparate comme condition d’individuation par la relation ? », Réseaux, 177, 1, p. 163.

Simon B., 2002, « The Return of Panopticism: Supervision, Subjection and the New Surveillance », Surveillance & Society, 3, 1.

Vitalis A., Mattelart A., 2014, Le profilage des populations: Du livret ouvrier au cybercontrôle, Paris, La Découverte, 156 p.

5. De la gouvernance d’Internet

Internet est-il gouverné ? Souvent, la réponse de sens commun, très répandue, est de dire que non. Internet serait une zone de non-droit. Le « Dark Web » fait particulièrement peur, et différents États appellent, régulièrement, à reconquérir leur souveraineté dans le « cyberespace. » Or, même s’il est vrai qu’Internet ne fait pas l’objet d’un gouvernement, il fait néanmoins l’objet d’une gouvernance, multi-niveaux, multi-acteurs. Quels sont les arènes, les acteurs et les instruments de cette gouvernance ? Nous répondrons à ces questions après avoir, d’abord, présenté les grands principes de fonctionnement d’Internet, dont la compréhension est incontournable pour comprendre les enjeux et maîtriser les instruments de cette gouvernance.

Lectures conseillées

Bing J., 2009, « Building cyberspace: a brief history of Internet », dans Internet Governance: Infrastructure and Institutions, Oxford, Oxford University Press, p. 8‑47.

Bray F., 2007, « Gender and Technology », Annual Review of Anthropology, 36, 1, p. 37‑53.

Broca S., 2013, Utopie du logiciel libre ; du bricolage informatique à la réinvention sociale, Neuvy-en-Champagne, Le passager clandestin.

Conseil d’État (France), 2017. Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’« ubérisation ». Étude annuelle. Paris, Direction de l’information légale et administrative

Doty N., Mulligan D.K., 2013, « Internet Multistakeholder Processes and Techno-Policy Standards. », 11, p. 135‑184.

Flichy P., 2001, L’imaginaire d’Internet, Paris, Découverte (Sciences et société), 272 p.

Kleinwächter W., 2012, « Internet, sociétés civiles et gouvernements : cohabitation ou choc des cultures ? », Politique étrangère, Eté, 2, p. 263‑275.

Lessig L., 2000, « Code Is Law », Harvard Magazine, http://harvardmagazine.com/2000/01/code-is-law-html .

Loveluck B., 2015, « Internet, une société contre l’État ? », Réseaux, 192, p. 235‑270.

MassitFolea, Françoise. La régulation de l’internet : fictions et frictions In : Les débats du numérique. Paris:Presses des Mines, 2013

Rossi J., 2020, « What rules the Internet? A study of the troubled relation between web standards and legal instruments in the field of privacy », 2020 Annual Giga-Net Symposium, https://www.giga-net.org/2020symposiumPaper/Rossi.pdf .

Sire G., 2017, « Gouverner le HTML », Réseaux, 206, p. 37‑60.

Timmers, P., 2018, « The European Union’s cybersecurity industrial policy », Journal of Cyber Policy, vol. 3, nr. 3, p. 363 – 384.

Turner F., 2008, From counterculture to cyberculture: Stewart Brand, the Whole Earth Network, and the rise of digital utopianism, 1. paperback ed, Chicago, Ill., Univ. of Chicago Pr, 327 p.

Evaluation finale

  • L’évaluation finale se fera par un devoir sur table qui prendra la forme d’une dissertation.

Autres références bibliographiques

 

Couture S., 2012, « L’écriture collective du code source informatique », Revue d’anthropologie des connaissances, 6, n° 1, 1, p. 21‑42.

Ganascia, J-G. 2019. « Peut-on contenir l’intelligence artificielle ? », Pouvoirs, n° 170, pp. 71-81

Souchier E., 1996, « L’écrit d’écran, pratiques d’écriture & informatique », Communication et langages, 107, 1, p. 105‑119.

Films

  • Citizenfour (documentaire sur Edward Snowden)
  • La vie des autres (film de fiction sur la Stasi)
  • Life of an Agent (film documentaire sur la formation des agents de la police politique hongroise à l’époque de la dictature communiste) (Egy ügynök élete magyarul)
  • Pirates of the Silicon Valley (docufiction, histoire de l’informatique ; naissance de Microsoft et d’Apple)
  • Black Code : sur des exemples concrets de surveillance d’État et de ses risques et effets sur la population
  • Nothing to hide : documentaire sur la surveillance par les données contemporaine

Vidéos en ligne

Guide de la jurisprudence européenne sur la protection des données : http://www.julienrossi.com/blog/wp-content/uploads/2018/10/guide-de-la-jurisprudence-v0-9-21.pdf

Manuel de droit européen en matière de protection des données à caractère personnel, Conseil de l’Europe, Court Européenne des Droits de l’Homme et Agence européenne des droits fondamentaux, 2014

Pour s’initier aux aspects techniques

Les meilleurs tutoriels en langue française pour s’initier à l’informatique sont sur les archives de l’ancien Site du Zéro : http://sdz.tdct.org

Une bonne explication des aspects techniques du réseau Internet, par Benjamin Bayart : https://www.youtube.com/watch?v=pwT2egqlke4

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